03/02/2012
International Jean-Jacques Rousseau Airport of Geneva
Nos voisins et amis de Genève célébreront cette année, jusqu’à réplétion et écœurement, le tricentenaire de la naissance de leur écrivain le plus illustre. Gageons que les Vaudois feront de même dans 25 ans pour le centenaire de la mort de Ramuz. Rousseau, le «gringe» comme on dit chez nous; le «grincheux en surcot d’Arménien» comme on l’appelait à Paris, où il finit par être adulé et panthéonisé. Rousseau, le contemplateur ébloui de la Nature au point d’être brocardé par les Helvètes de son temps (puis éconduit de sa ville natale), sera en 2012 porté au pinacle par leurs descendants. Ils se confondront en conférences, expos, films, spectacles, etc. Leur enthousiasme est d’ores et déjà unanime, un chouia dépareillé par un ténor du barreau à plume affectée, et qui joue les nouveaux Trissotin en traitant l’auteur des Confessions de pleurnichard émasculé…
Au point culminant du 28 juin prochain, la date anniversaire, ce sera le tour des politiciens, qui se glorifieront eux-mêmes en le glorifiant. S’ils ne l’ont pas lu, leur érudition wikipédienne suppléera. Après les édiles du bout de lac, des conseillers fédéraux issus d’autres cantons iront aussi de leur laïus. Des maires ou syndics de diverses communes romandes, que le Rêveur solitaire ne fit que traverser, émailleront leurs prochains discours du 1er Août de citations rousseauistes, itou glanées sur la Toile.
Plus charmeuse est la fantaisie de notre effervescent cinéaste lausannois Lionel Baier, qui rêve de débaptiser l’aéroport de Cointrin. Dans une chronique dominicale récente, le réalisateur de «Low-cost», lui préférerait un nom d’artiste d’envergure. A l’instar du Pablo-Picasso de Málaga, du Leonardo-da-Vinci de Rome, ou du Saint-Exupéry de Lyon, celui de Genève prendrait celui de Jean-Jacques Rousseau, natif de la rue de la Boulangerie, en face de l’Arsenal, et désormais philosophe planétaire. Mon amie H. trouve l’idée bonne, mais en farouche partisane des quotas, elle suggère: «Et pourquoi pas un Aéroport international Mme de Staël?»
16:13 Publié dans Si j'étais un rossignol... | Tags : aviation, littérature, genève, lionel baier | Lien permanent | Commentaires (2)
26/12/2011
Ravel, Colette, et l’Enfant qui regarde au cœur
L’amour que nous éprouvons pour la musique viendrait de notre endocarde, ce palpitant vampire qui se gorge de sang humain pour le réinjecter dans nos veines, même vieillissantes. Les Romains de l’Antiquité en avaient bien fait le siège de leur mémoire. «Recordari», qu’ils clamaient en se frappant la poitrine. Je me souviens. Cette magnifique aberration anatomique inspirera un jour à Federico Fellini le miracle d’Amarcord. Le plus bel hommage jamais rendu, sur grand écran, à une Majesté suprême, mais étourdie et chafouine: l’Enfance. Son film est un maelström chatoyant de parfums romagnols, de couleurs et d’émotions drolatiques. On y pleure et rit en même temps. Nos souvenirs les plus anciens nous amusent par leurs imageries souriantes et polychromes. Or on sait que leur verso est marouflé d’une seule et même teinte; d’une qui hésite entre le grège du Léman hivernal et le rosâtre de la fleur desséchée des tombes. La couleur bigarrée d’un chagrin que les adultes trop vite mûris ignorent: celle de ne plus être un enfant.Moi, à 57 ans, je m’aventure musicalement à redevenir celui que je fus à six, en réécoutant L’Enfant et lesSortilèges que Maurice Ravel composa vers 1925 sur un livret de fantaisie de la grande Colette. Pour une fois, je fais abstractionde l’ingéniosité fantasmagoriquede ces deux créateurs, et surtout de l’absolutiongénérale accordée au finale à leur héros, ce petit Pan qui fut moi-même, qui fut tout le monde, par les autres protagonistes du spectacle: animaux ou végétaux, objets inanimés… Le bon diablotin ravélien n’en a pas moins fait des mistoufles à ses partenaires en carton-pâte, ou en figurines sucrées qui sentent la frangipane. Il a tiré la queue du chat, celle de l’écureuil. Il a fait saigner de dignes arbres de leur sève. Or l’esprit des bois etdes jardins est rancunier.La résine enivrante que nous extorquions auxchênes avec la pointe d’un couteau de cuisine, ellenous rattrape tôt ou tard: «Ma blessure! Ma blessure!» – c’est le chant de la végétation débridée, dela jachère négligée.S’y ajoute une autre odeur, qui est sablonneuse,sent le métal qui suinte, la sueur d’une paumetachée de boue, et s’associe non plus à un chant,mais à un crissement. À celui de la terre, de la terrelacérée au poignard. L’aiguille des boussoles enfantinespique et blesse.
16:26 Publié dans Culture | Tags : synesthésie, littérature, musique, enfance | Lien permanent | Commentaires (20)